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Chroniques
Johannes Brahms
Lieder
Il y a quelques semaines, nous saluions l'excellence du contralto canadien Marie-Nicole Lemieux dans le rôle-titre d'Orlando furioso de Vivaldi [lire notre critique du CD]. Elle présente aujourd'hui plusieurs Lieder de Johannes Brahms avec une musicalité, une expressivité et une technique irréprochables. Therese de l'Opus 86 trouve dans sa voix la tendresse idéale pour évoquer l'état d'esprit et la situation de la narratrice du poème. Elle fait de Feldeinsamkeit une calme et ample évocation, grâce à une ligne de chant magnifiquement menée, un phrasé évident, et une diction exemplaire. Nachtwandler est ensuite coloré d'une inquiétude intrinsèque au texte lui-même, avec intelligence et sensibilité. D'abord surpris par un tempo peu lent pour Todessehnen, on y trouvera finalement l'avantage de révéler à cette composition des aspects de mélodrame.
Si la chanteuse sait inventer des mondes, le pianiste, en revanche, est assez terne. Certes, un relatif effacement est en général conseillé dans l'art de l'accompagnement. Mais lorsque la voix qu'on accompagne est habitée d'une telle personnalité, mieux vaut s'engager plus. Si Über die Heide est sombrement émouvant, avec un piano présent, il tirerait des larmes. De même dans l'Opus 69 où la sonorité un rien sourde de l'instrument n'est guère créatrice de climat, et n'aide en rien la ligne vocale. Marie-Nicole Lemieux est extraordinaire dans la seconde strophe de Klage II, par exemple, et délicieusement expressive dans des Liedsten Schwur, sans que le piano de Michael McMahon parvienne à développer toute la fraîcheur qui pourrait lui répondre. On admirera également le lyrisme épanoui de la chanteuse dans Vom Strande, réussissant à faire de l'étrange Mädchenfluch un petit opéra, la composition annonçant à bien des égards certains traits favoris de l'écriture de Kurt Weill.
En 1884, Brahms écrit les Zwei Gesänge Op.91 pour contralto, alto et piano. Niccolò Eugelmi les introduit dans une couleur ronde à souhait, avec une sonorité large et généreuse. Cependant, aucune surenchère : cet accompagnement finement dosé est idéal, équilibrant parfaitement le lyrisme romantique et les velléités classiques du compositeur. Marie-Nicole Lemieux nous suspend à ses lèvres, faisant de Gestillte Sehnsucht l'un des plus grands moments de ce disque, et du dernier couplet de Geistliches Wiegenlied une splendeur incontestable.
Avec l'Opus 121 (de 1896), on entre dans un tout autre univers. Le cycle des Vier ernste Gesänge est étonnement dépouillé, touchant des caractères tour à tour lugubres, engagés socialement, dans une expression qui, là encore, donne à penser que Weill tout comme Mahler ont pu y puiser leur inspiration. Marie-Nicole Lemieux est bouleversante dans Denn es gehet dem Menschen, troublante dans le morbide O Tod, wie bitter bist du, et recueillie dans Wenn ich mit Menschen und Engelszungen redete avec lequel le disque s'achève. À écouter attentivement, livret en main, afin de mieux mesurer toute la pertinence et la beauté de ces interprétations remarquables.
BB